Le symbolisme comme moyen d'expression

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Au sein d'un milieu culturel différent, les modes de communication diffèrent passablement. Les repères sont rapidement balayés, les habitudes inévitablement enterrées et les attentes lors d'échanges, surtout si l'on se montre un tant soit peu exigent dans ce domaine, doivent impérativement être revues à la baisse, faute de se retrouver désappointé. Il n'est pas rare non plus que des malentendus et quiproquos surgissent. En fin de compte, en changeant de milieu, c'est toute une dynamique relationnelle qui se modifie.

Voici l'exemple du Rwanda, petit pays d'Afrique centrale connu notamment pour ses nombreuses collines et ses gorilles de montagne.

 

Une photo exceptionnelle de Marco, un gorille de montagne albinos d'une grande rareté!

 

User de détours par convenance
Tandis que la majorité des Suisses privilégient dans leurs propos clarté, précision et concision, les dialogues indirects ont la cote auprès des Rwandais. Les comparaisons et proverbes leur permettent de s'exprimer de manière indirecte, évitant ainsi toute vérité frontale, jugée trop abrupte par les conventions sociales. Autre lieu, autres mœurs.

Par ailleurs, il n'est pas rare que les échanges entre Rwandais se terminent par des éclats de rire généralisés: le symbolisme égratigne moins facilement l'orgueil et conduit parfois jusqu'à la dérision ou l'insolite. Par le biais du symbolisme, la bienséance est donc maintenue… avec le sourire en prime!

Rousseau prétendait que "La bienséance n'est que le masque du vice". En est-il ainsi au Rwanda? Dernièrement encore, lors d'un cours de français, un élève d'une vingtaine d'années me demanda si se montrer courtois, poli et obéissant -être en quelque sorte une bonne bête- est signe d'une attitude estimable. Désirait-il confirmer ses certitudes quelque peu ébranlées par mes propos? L'effarement le gagna lorsque j'évoquai le choix individuel à effectuer entre authenticité et bienséance.


"Quand les éléphants dansent, se sont les zèbres qui trinquent!"
Le symbolisme utilisé dans les métaphores et proverbes rwandais prend racine dans la vie courante et le paysage local. Animaux, corps humain, outils et ustensils traditionnels ont généralement la part belle!

Afin d'illustrer mes propos, voici quelques exemples du meilleur cru, importés directement du Rwanda.

 

• L'épine qui est dans la chair d'autrui est extractible.
La peine d'autrui est jugée bénigne et passagère.

• Le secours étranger arrive quand la pluie est passée.
Il vaut mieux ne compter que sur soi-même.

• Le cruchon fêlé rit du tesson.
Il y a malheureux et malheureux.

• L'ajournement engendre la grêle.
Il ne faut pas remettre les choses au lendemain.

• L'écume couvre le chagrin.
Le vin noie la tristesse.
Les boissons fermentées du Rwanda sont couvertes d'écume.

• Les cornes d'une génisse, personne ne sait dans quelle direction elle croîtront.
La tournure finale des événements échappe aux prévisions.

• Les pieds se précèdent à tour de rôle pour avancer.
Les premiers d'aujourd'hui seront les derniers demain.
La roue de la fortune tourne régulièrement.

• La foudre ne frappe pas celui dont le destin est de vivre.

• Le mensonge ne nourrit son homme que pendant deux ans.

• Le léopard ne savait pas saisir à la nuque, il l'a vu faire.
Beaucoup d'hommes sont méchants par contagion.

• Dans les paroles d'une personne respectable on trouve un os.
Les personnes respectables émettent des avis de poids.

• La poule ne chante pas en présence du coq.
C'est à l'homme qu'il revient de traiter les affaires importantes avec les étrangers (ou de soutenir la conversation).

• Le savoir, comme le feu, s'obtient du voisin.
On s'instruit grâce aux relations.

• La fatigue n'est pas la couleur.
Le métier n'a rien de rose.

 

• Le menuisier des cœurs ne les a pas faits à la même mesure.
Même parents, les hommes ont des tempéraments différents.

• Le roi de l'homme, c'est son cœur.
La volonté de l'homme échappe à toute contrainte.

• L'endroit guéri s'appelle cicatrice.
Il n'est point de mal guéri qui n'ait dans la suite de funestes effets.

• Il n'est point de voyageur matinal qui boucle l'étape qui le sépare du cœur d'un autre homme.
Les pensées du prochain nous restent cachées.

• Le ventre cache beaucoup de choses.
Le cœur de l'homme recèle plus d'une mesquinerie humiliante.

• L'homme à la mauvaise langue meurt avant l'empoisonneur.

• Dix vaches qui rentrent valent mieux que cent promises par les devins.
Un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras".

• Qui va semer le bonheur commence par chez lui.
Celui qui n'est d'aucune utilité pour lui-même est incapable d'aider autrui.

• Qui tire fort casse les cordes.
Refuser tout accommodement mène à la discorde.

• Le bâton brise l'os, il ne brise pas le vice.
Les châtiments sévères n'opèrent pas de conversions.

• Le mangeur de courge se prive de gourde.

• La route a supprimé le tabou.
La pénétration européenne a fait disparaître les tabous en provoquant leur fréquente violation.

• L'union qui ne tient pas fort est brisée par la viande.
Un rien suffit à briser une amitié peut solide.

• La douleur ne tue pas; ce qui tue, c'est le souvenir incessant.

• Dans la maison où parle la femme résonne la serpette.
Où "ce que femme veut" fait la loi, on court à la ruine.

 

• L'amour ne croît pas en largeur; ce qui croît en largeur, c'est le mal.
Le bien est discret, le mal tapageur.
Le bien agit en profondeur, le mal en surface.

• Le jour remplace la nuit, puis la nuit remplace le jour.
Après la pluie, le beau temps.

• Le couvercle du chagrin, c'est le cou.
Si on garde la tête froide, on peut résister aux impulsions déraisonnables du cœur.

• Quand l'enfant tombe, la mère pleure, et quand la mère tombe, l'enfant rit.
Les enfants ne peuvent aimer leurs parents autant que ceux-ci les aiment.

• Un jeune enfant est plus grand que le bras.
Une aide faible vaut mieux que rien.

• Une mauvaise maison t'envoie à la fois chercher de l'eau et du feu.
Il est dangereux pour le ménage que la femme commande.

• Celui qui a pour l'enfant plus de tendresse que la mère, c'est qu'il veut le manger.
Il ne faut pas intervenir lorsque les parents punissent leurs enfants.

• Celui qui se fait une mixture la boit.
Il faut accepter les conséquences de ses paroles et de ses actes.

• Celui qui n'a pas d'esprit apprécie le sien.
Celui qui se croit le plus malin l'est souvent le moins.

• Celui qui n'obéit pas à son père et à sa mère obéit au grillon.
Le grillon symbolise les nuits passées à la belle étoile, le vagabondage.
Celui qui n'obéit pas à ses parents se rend malheureux.

• Celui qui puise de l'eau à contrecœur puise une eau trouble.
Un travail fait sans goût est mal fait.

• Celui qui porte à son cou un coquillage ne sait pas qu'il est blanc.
Les gens heureux ignorent leur bonheur.

• Si on décrivait au roi le butinage des abeilles, il ne boirait pas d'hydromel.
Tout n'est pas toujours bon à dire.

• Celui qui veut encourager sa maison en renforce les piliers.
Celui qui veut que sa femme en arrive à agir comme il le désire lui donne de grands pouvoirs.

 

• Ce n'est pas avec la barbe que vient la sagesse.

• Un pilier ne fait pas la maison.
L'homme isolé ne peut réaliser de grandes choses.

• La maison du tonnerre se garde elle-même.
La terreur qu'inspire les puissants constitue le plus efficace gardien de leurs biens.

• La martre distance le chien, elle ne distance pas son propre petit.
Il peut être facile de tromper des étrangers, mais pas ses familiers.

• Le vautour à la griffe trop longue se perce le ventre.
Trop de méchanceté finit par nuire à son auteur.

• Ce qui emplit le cœur déborde sur la langue.
On parle abondamment des sentiments qui emplissent le cœur.

• Le jour se lève en portant le nom de lendemain.
On promet pour "demain" ce qu'on ne veut pas donner.

• Quand on appelle la chèvre "La Blanche", elle gambade.
Les sots sont sensibles à la flatterie.

• Un défaut, on n'en confie pas le logement à autrui, on lui construit une maison.
On doit prendre à son compte personnel le coût de son défaut.

• Le riche ne danse jamais mal.

• Il n'est personne qui mange d'un serpent et soit dégoûté par la queue.
Quand le gros d'une besogne répugnante est accompli, on ne manque pas de courage pour la terminer.

• La prétention fait enfler les oreilles et maigrir les fesses.
Il en coûte de faire le malin auprès de son souverain.

• L'arbre tombe du côté où il penche.
On meurt comme on a vécu.

• Celui qui enlève les tiques à une seule vache lui arrache tous les poils.
Celui qui n'a qu'un être à aimer le gâte.

 

D'indissolubles rumeurs
Malheureusement, la palme d'or du moyen d'expression le plus utilisé au Rwanda revient cependant à la rumeur. Ces nouvelles, dont la véracité est incertaine, trouvent ici un terrain propice à leur expansion. Sont-elles la tragique conséquence d'un manque flagrant de liberté d'expression et du poids de la hiérarchie? Comme dit Grégoire pour railler celles-ci: "Les rumeurs font la bonne humeur". Je pense que savoir manier l'ironie est parfois nécessaire, car le bonheur n'est peut-être qu'un malheur mieux toléré qu'à l'ordinaire!

Les métaphores et proverbes ont toutefois l'avantage d'être plus emprunts d'élégance et de respect. Ils permettent de tenir des propos de façon certes atténuée et édulcorée, mais en présence de la personne concernée! Grâce à ces deux moyens d'expression, l'essence d'une pensée profonde peut ainsi être partiellement dévoilée en présence de la personne visée, même dans le cadre de sociétés très rigides au niveau de leurs codes sociaux. Et cette transparence conduit selon moi à davantage de respect.


Le symbolisme comme remède contre l'hypocrisie
Alfred de Musset n'appréciait que peu les proverbes, car selon lui, "ce sont des selles à tous chevaux; il n'en est pas un qui n'ait son contraire". Quant à Paul Valéry, il se montre plutôt sceptique face à la notion de symbolisme: "Le mot symbolisme fait songer les uns d'obscurité, d'étrangeté, de recherche excessive dans les arts; d'autres y découvrent je ne sais quel spiritualisme esthétique, ou quelle correspondance des choses visibles avec celles qui ne le sont pas".

Pour ma part, je ne pense pas que le symbolisme des proverbes est forcément pertinent et approprié, mais ce dont je suis sûr est qu'il permet aux Rwandais d'exprimer avec des pincettes le fond de leur pensée, balayant ainsi une couche d'hypocrisie ambiante. Par conséquent, je remercie donc au symbolisme d'exister, que ce soit sous forme de métaphores, de litotes, d'hyperboles ou d'autres figures rhétoriques!

 

 
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