Et bien, dansez maintenant!

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Pour accueillir comme il se doit Monseigneur Servilien Nzakumwita, Évêque du diocèse de Byumba, une grande fête fut organisée dans l'école technique paroissiale de Nyarurema (Rwanda). Les élèves préparèrent avec assiduité la plupart des activités de cette journée, à savoir : discours, chants, danses et repas. A cette occasion, j'eus la chance de découvrir pour la toute première fois quelques danses traditionnelles rwandaises.

Assise dans le long réfectoire de l'école en présence des 600 élèves, enseignants et invités, j'assistai, enchantée, à la succession des chorégraphies. Les jeunes danseuses captivaient leur public : certains soutenaient le rythme, d'autres renforçaient les chants. Toute l'assemblée les acclamait et certains spectateurs rejoignirent même les gracieuses danseuses, parvenant merveilleusement à répliquer corporellement.

Tous les Rwandais présents comprenaient et régissaient avec ardeur à ce langage gestuel, à l'opposé de moi (et des quelques autres Européens!) qui me sentais à la fois captivée et égarée au milieu de l'effervescence générale. J'aurais aimé appréhender les messages véhiculés à travers ces chorégraphies afin de pleinement les apprécier et de pouvoir me lancer dans l'ambiance générale. Représentaient-elles des scènes de vie, des rituels traditionnels ou l'allégorie d'une divinité?

 

 

Curieuse et intriguée, je décidai de m'intéresser de plus près à l'origine et au symbolisme de ces danses rwandaises.
Grâce à un ouvrage sur la culture rwandaise et des informations récoltées auprès d'habitants de Nyarurema, Ikishakamba, la danse ayant obtenu la plus grande ferveur de la part du public, n'a plus aucun secret pour moi! Par la suite, j'étendis mes recherches à d'autres types de chorégraphies afin de m’ouvrir plus largement encore sur le panorama des danses traditionnelles rwandaises. J'espère avoir prochainement l'opportunité d'être spectatrice des danses mentionnées dans ce texte!

Engouement pour la danse
Au Rwanda, la danse obtient plus d’engouement que la sculpture et l'art pictural. Les chorégraphies suivent des règles traditionnelles et ont des rythmes déterminés. Les mouvements des danseurs sont agréablement coordonnés et leur apprentissage nécessite une sensibilisation dès le plus jeune âge. A Nyarurema, un lieu a été aménagé à cet effet près de l'église. Les habitants viennent s'y exercer par petits groupes et les cérémonies religieuses dominicales contribuent certainement de tremplin pour ces danseurs.

Symbolisme et traditions
Par le biais de la danse, tout comme par celui de l'art et la littérature d'un pays, se dévoilent habituellement l'histoire d'un peuple, ses légendes et coutumes. Le symbolisme et les traditions ancrés dans les danses en font un outil précieux pour mieux saisir et bénéficier des richesses culturelles d'un pays. Les chorégraphies parlantes font incontestablement renaître un cadre et toute une ambiance. Voyez plutôt par vous-mêmes dans les danses décrites ci-dessous!

 

 

Dans le réfectoire de l'école, l'atmosphère générale prend une tournure survoltée lors d'Ikishakamba, chorégraphie dédiée aux majestueuses vaches rwandaises dont les cornes atteignent facilement un mètre (nos "reines" des Alpes font pâle figure!).

Cette danse prend racine dans l'Umutara (territoire situé à l'est du diocèse de Byumba) et dans la région ougandaise frontalière. Contrairement aux danses présentées plus loin dans cet article, Ikishakamba est uniquement régional.

Un sifflet à la bouche, marquant le tempo général, la "vedette" de la danse lève ses bras pour symboliser les cornes des bovidés. Dans une cadence rapide, ses pieds martèlent le sol. Les autres danseurs suivent les déplacements du meneur et adoptent son rythme effréné.

 

Par jeu, les danseurs encerclent le danseur principal et essaient de lui passer un tissu à la taille. D'autres, par d'élégants ondoiements, lui font miroiter la pièce de tissu, tel les toréadors espagnols. Mais ici, pas de sang, ni de violence: la vache, animal sacré, reine de la piste, n'a rien à craindre!

D'autres danseurs encore semblent vouloir séduire le meneur. Pour ce faire, ils se placent face à lui et exécutent des mouvements s'harmonisant à ceux du meneur.

 

Aperçu de danses rwandaises traditionnelles connues dans tout le pays
Gushayaya est une danse de jeunes filles se calquant sur une scène de génisses au galop. Levés gracieusement vers le ciel, leurs bras représentent les cornes de l'animal.
D'autres chorégraphies imitent par exemple les surprenantes danses nuptiales des grues couronnées. Ces danses traditionnelles exaltent la beauté du corps humain et nécessitent de grands espaces : se retrouver dans l'étroitesse d'une discothèque moderne inhiberait et guinderait sans conteste leurs élégants mouvements.

 

 

Certaines danses d'hommes, tel Guhamiliza, sont nettement plus acrobatiques et impressionnantes: les danseurs (Intore), revêtus d'un costume traditionnel, reproduisent des scènes guerrières ainsi que le front de taureaux aux cornes agressives. De prodigieux cris gutturaux évoquent également des scènes de chasses aux fauves, buffles et éléphants. Les rapides danseurs font des sauts prodigieux et leurs incessants battements de pieds font tinter leurs grelots. Leurs parures se composent de coiffure-crinière, de pagne en peau de léopard, de baudrier, de bracelets brodés de perles, de lance et bouclier à la main.

Pour démontrer l'habileté des Rwandais, Kubyina amasuka est à couper le souffle: les Imparamba (danseurs à la houe) lancent et rattrapent leurs lourds outils. Et tout ceci dans une coordination parfaite! Vu la forme et le poids des houes, l'exercice est beaucoup plus périlleux et audacieux qu'avec un simple bâton de majorettes…

 

Lors des danses, hommes et femmes portent la plupart du temps attachées à leurs chevilles des lanières de cuir où des grelots métalliques sont fixés. Cette parure s'appelle Amayugi. Ainsi, chacun de leur pas résonne.

 

Mais comment parler des danses rwandaises sans évoquer la voix de ses tambours? Le tambour Karinga fut l'emblème du pays au temps de la royauté. Tel un puissant souverain, ce tambour placé sur un trône, était honoré, décoré et protégé par des gardiens. Cet instrument à percussion, considéré comme un grand ventre fécond à la voix puissante et magique, est constitué des éléments suivants:

  • Inda (ventre) forme la caisse de résonance faite de bois.
  • Ikyahi (peau servant de berceau à l'enfant) est un disque de peau de vache recouvrant la partie supérieure du tambour.
  • Igikondo (nombril) constitue cette fois-ci le disque de peau de vache recouvrant l'extrémité inférieure de l'instrument. Les peaux sont tendues par l'intermédiaire de chevilles et de lanières de cuir.
  • Imirishyo (les bras du roi, les baguettes) dont une des extrémités symbolise une paume de main.

Etant donné que le tambour possède de nombreux éléments du corps humain, en kinyarwanda, battre le tambour se dit "faire parler le tambour" (kuvuzingoma).

 

 

Elégance, sobriété et distinction
Alors qu'en Suisse les premiers pas de danse s'apprennent souvent quelques jours avant le mariage, histoire d'entamer élégamment la traditionnelle valse nuptiale, au Rwanda, la danse est une activité apprise durant l'enfance et pratiquée jusqu'à ce que la vieillesse appesantisse le corps. Les danses animent et ponctuent fêtes et cérémonies religieuses de traditions ancestrales.
Aujourd'hui encore, elle fait partie des activités extrascolaires aussi bien dans les écoles primaires que dans les universités. Des compétitions internationales se déroulent annuellement à Butare, devant les caméras de la télévision nationale rwandaise.

Les danses rwandaises sont collectives, rarement mixtes, parfois très ardentes mais jamais érotiques (contrairement à celles de leurs voisins congolais!). Leur durée est brève, ne conduisant ainsi jamais le danseur jusqu'à l'épuisement ou aux transes hystériques. Il est frappant de constater que la danse rwandaise reflète précisément les caractéristiques de ses autochtones: élégance, sobriété et distinction.

 

 
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